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LE ROI DE PERSE

 
Le roi de Perse habite, inquiet, redouté, 
En hiver Ispahan et Tiflis en été; 
Son jardin , paradis où la rose fourmille, 
Est plein d'hommes armés, de peur de sa famille; 
Ce qui fait que parfois il va dehors songer.  
Un matin, dans la plaine il rencontre un berger 
Vieux, ayant près de lui son fils, un beau jeune 
homme. 
-" Comment te nommes-tu? dit le roi. -je me nomme 
Karam," dit le vieillard, interrompant un chant 
Qu'il chantait au milieu des chèvres,en marchant 
"J'habite un toit de jonc sous la roche penchante 
Et j'ai mon fils que j'aime, et c'est pourquoi je 
chante 
Comme autrefois Hafiz, comme à présent Sadi, 
Et comme la cigale à l'heure de midi."- 
Et le jeune homme alors, figure humble et touchante, 
Baise la main du Pâtre harmonieux qui chante 
Comme à présent Sadi, comme autrefois Hafiz. 
-" Il t'aime, dit le roi, pourtant il est ton fils."
 
 
Victo Hugo 16 aout 1872 
 

PASSAGE ( A une Rifaine )
 
 
Les pas mesurés 
D'une Riffaine 
Entre l'iris et l'azalée 
A travers champs, précautionneux 
A l'exil, me mènent 
Où je retrouve, concentrés, inaltérés 
Tous les parfums chers à mon âme 
Foyer permanent où réside, fidèle 
La seule amie de la création 
Cette solitude gigantesque 
Aux racines perdues 
Dans les ciels implicites... 
 
Posé sur une autre planète 
J'étais descendu sur la terre des hommes 
Parée de mille charmes 
Dotée d'inestimables joyaux de Dieu 
Dans l'espoir de m'y faire des amis 
Trop pressés 
Par ce qu'ils appellent leurs besoins 
Les hommes 
Que j'ai rencontrés 
Certains du moins 
N'ont plus le temps 
De cultiver le seul sentiment  
Par lequel ils sont nés 
 
Pour la joie de leurs yeux 
Une rose 
Patiemment éclos 
Que leurs yeux 
Ne voient pas 
Ils sont enfermés 
Dans des blok-houses 
Qu'ils appellent naivement 
Leurs maisons 
Trop vivement construites 
Et trop mal 
Pour compter avec frénésie 
L'air insatisfait, soucieux 
Des sous 
Plus nombreux 
Aussi vains que leurs jours escomptés 
Aussi vaines 
Que leurs sous 
Entre leurs jours comptés 
Sont leurs artères 
Desséchées 
Dérouté 
Je reviens à mes vaisseaux 
Amarrés aux îles 
Désormais effacées 
De la vision des saisons heureuses. 
 
Les pas mesurés 
D'une Riffaine 
Entre l'iris et l'azalée 
Comme une pensée subtile 
Habitée par un souffle isolé 
Auront, réconfortants, précautionneux 
Sur la terre des hommes 
Marqué ce bref et douloureux passage !
 
 
Kamel Zebdi - Poète marocain de Rabat - Lauréat de l'Académie Française.
 
 
 
RIVES DU BOUREGREG
 
 
Ô noble paysage aux délicates lignes 
Harmonieux et clair , cerné par ces coteaux, 
Beau fleuve sinueux où l'on cherche les cygnes 
Du Caistre et de l'Eurotas aux belle eaux. 
 
J'ai vu de tes printemps les mouvantes parures 
Et tes étés pensant suivis d'automnes roux, 
Ton hiver qui revêt, émondeur de ramures, 
Un ciel trop éclatant de son charme plux doux. 
 
J'ai vu tous tes aspects et chaque jour je marque  
Quelque beauté nouvelle encore. Mais parfois 
En remontant tes eaux, couché dans une barque, 
J'ai fermé les yeux pour n'écouter que ta voix. 
 
Puis je redescendais sous la lune bleuâtre 
Qui transformait le fleuve en un flot de clarté. 
Qu'importe que tu sois maternelle ou marâtre. 
Nature, si mon coeur dans ces lieux est resté. 
 
C'est ici maintenant que je voudrais renaître, 
Nul ne m'a secouru comme vous et je sens  
Qu'y traîneront toujours des lambeaux de mon être. 
Nous sommes l'un à l'autre ainsi que deux amants. 
 
Et ceux-la qui viendront aux époques tardives, 
Inquiets tout à coup, murmureront entre eux : 
Dans la chanson du vent, la plainte des eaux vives, 
Sentez ce battement d'un grand coeur généreux.
 
 
Leonce Rolland - Rabat 1927  
 
 
FLEUVES ET POETES  
 
Le grand Niagara s'écoule,le Rhin tombe; 
L'abime monstrueux tâche d'être une tombe; 
Il hait le géant fleuve, et dit : j'engloutirai. 
 
Et le fleuve, pareil au lion attiré 
Dans l'antre inattendu d'un hydre aux mille  
têtes, 
Lutte avec tous ses cris et toutes ses tempêtes. 
 
Quoi! la nature immense est donc un lieu peu sûr? 
Il se cabre, il résiste au précipise obscur, 
Bave et bouillonne, et, blanc et noir comme le  
marbre, 
Se cramponne aux rochers, se retient aux troncs  
d'arbres, 
Penche, et, comme frappé de malédiction, 
Roule, ainsi que tournait l'éternel Ixion. 
 
Tordu, brisé, vaincu, Dieu même étant complice, 
Le fleuve échevelé subit son dur supplice. 
 
Le gouffre veut sa mort; mais l'effort des fléaux 
Pour faire le néant, ne fait que le chaos; 
L'affreux puits de l'enfer ouvre ses flancs  
funèbres, 
Et rugit. Quel travail pour créer les ténèbres! 
Il est l'envie, il est la rage, il est la nuit; 
Et la destruction, voilà ce qu'il construit. 
 
Pareil à la fumée au faître du Vésuve, 
Un nuage sinistre est sur l'énorme cuve, 
Et cache, le tourment du grand fleuve trahi. 
 
Lui, le fécondateur, d'où vient qu'il est haï? 
Qu'est-ce donc qu'il a fait aux bois, au mont  
sublime. 
 
Aux prés verts, pour que tous le livrent â  
l'abîme ? 
Sa force, sa splendeur, sa beauté, sa bonté, 
Croulent... Quel guet-apens et quelle lâchté ! 
L'eau s'enfle comme l'outre où grondent les  
Borées, 
Et l'horreur se disperse en voix désespérées; 
Tout est chute, naufrage, engloutissement, nuit, 
Rien n'est épargné, rien ne vit, rien ne surnage 
Le fleuve se débat dans l'atroce engrenage,  
Tombe, agonise, et jette au loinain firmament 
Une longue rumeur d'évanouissement. 
 
Tout à coup, au-dessus de ce chaos qui souffe, 
Apparaît, composé de tout ce que le gouffre 
A de hideux, d'hostile et de torrentiel, 
Un éblouissement auguste, l'arc-en-ciel; 
Le piège est vil, la roche est traitre, l'onde  
est noire, 
Et tu sort de cette ombre épouvantable, O  
gloire!  
 
Victor Hugo - 9 novembre 1862 
 
LE CEDRE
 
 
Omer, cheik de l'Islam et de loi nouvelle 
Que Mahomet ajoute à ce qu'Issa révèle, 
Marchant, puis s'arrêtant, et sur son long baton, 
par moments, comme un pâtre, appuyant son menton, 
Errait près de Djeddah la sainte, sur la grève, 
De la mer Rouge, où Dieu luit comme au fond d'un rêve, 
Dans le désert jadis noir de l'ombre des cieux 
Où Moïse voilé passait mystérieux. 
Tout en marchant ainsi, plein d'une grave idée,  
Par-dessus le désert, l'Egypte et la Judée, 
A Pathmos, au penchant d'un mont, chauve sommet, 
Il vit Jean qui, couché sur le sable dormait. 
 
Car saint Jean n'est pas mort, l'effrayant solitaire; 
Dieu le tient en réserve; il reste sur la terre 
Ainsi qu'Enoche le Juste, et, comme il est écrit, 
Ainsi qu'Elie, afin de vaincre l'Antechrist. 
 
Jean dormait; ces regards étaient fermés qui virent 
Les océans du songe où les astres chavirent; 
L'obscur sommeil couvrait cet oeil illuminé, 
Le seul chez les vivants auquel il fut donné 
De regarder, par l'âpre ouverture du gouffre, 
Les anges noirs vêtus de cuirasse de soufre, 
Et de voir les Babels pencher, et les Sions 
Tomber,et s'écrouler les blêmes visions, 
Et les religions rire prostituées, 
Et des noms de blasphème errer dans la nuée. 
 
Jean dormait, et sa tête nue au soleil. 
 
Omer, le puissant prêtre, aux prophètes pareil, 
Aperçut, tout auprès de la mer Rouge, à l'ombre 
D'un santon, un vieux cèdre au grand feuillage sombre 
Croissant dans un rocher qui bordait le chemin; 
Cheik Omer étendit à l'horizon sa main 
Vers le nord habité par les aigles rapaces, 
Et, montrant au vieux cèdre, au delà des espaces, 
La mer Egée, et Jean endormi dans Pathmos, 
Il poussa du doigt l'arbre et prononça ces mots : 
 
-" Va, cèdre, va couvrir de ton ombre cet home !" 
 
Le blanc spectre de sel qui regarde Sodome 
N'est pas plus immobile au bord du lac amer 
Que ne le fut le cèdre à qui parlait Omer; 
Plus rétif que l'onagre à la voix de son maître, 
L'arbre n'agita pas une branche. 
 
Le prêtre dit:"Va donc!" et frappe l'arbre de son baton. 
 
Le cèdre, enraciné sous le mur du santon, 
N'eut pas même un frisson et demeura paisible. 
 
Le cheik alors tourna ses yeux vers l'invisible, 
Fit trois pas, puis ouvrant sa droite et la levant: 
-" Va! cria-il,va,cèdre, au nom du Dieu vivant! " 
 
-" Que n'as-tu prononcé ce nom plus tôt? " dit l'arbre  
Et, frissonnant, brisant le dur rocher de marbre, 
Dressant ses bras ainsi qu'un vaisseau ses agrès, 
Fendant la vieille terre aïeule des forêts, 
Le grand cèdre, arrachant aux profondes crevasses 
Son tronc et sa racine et ses ongles vivaces, 
s'envola comme un sombre et formidable oiseau. 
Il passa le mont Gour, pousé comme un boisseau: 
Sur la rouge lueur des forgerons d'Erèbe; 
Laissa derrière lui Gophna, Jérico, Thébe, 
L'Egypte aux dieux sans nombre, informe panthéon, 
Le Nil, fleuve d'Eden, qu'Adam nommait Gehon, 
Le champ de Galgala plein de couteaux de pierre, 
Ur, d'où vint Abraham ,Bethsad, où naquit Pierre, 
Et, quittant le désert d'où sortent les fléaux, 
Là, retrouvant la mer, vaste, obscure, sublime 
Il plongea dans la nue énorme, de l'abîme, 
Et, franchissant les flots, sombres gouffre ennemi, 
Vint s'abattre à Pathmos près de Jean endormi.  
 
Jean, s'étant reveillé, vit l'arbre, et le prophète 
Songea, surpris d'avoir de l'ombre sur sa tête; 
"- Arbre, que fais-tu là ? pouquoi t'es-tu hâté 
Pourquoi donner de l'ombre au roc où je demeure ? 
L'ordre éternel n'a point de ces rapidités; 
Veut que l'oeuvre soit lente, et que l'arbre se fonde 
Sur un pied fort, scellé dans l'argile profonde; 
Pendant qu'un arbre naît, bien des hommes mourront; 
La pluie est sa servante, et, par le bois du tronc,  
La racine aux rameaux frissonants distribue 
L'eau qui se change en sève aussitôt qu'elle est bue. 
Dieu le nourrit de terre, et, l'en rassasiant, 
Veut que l'arbre soit dur, solide et patient, 
pour qu'il brave, à travers sa rude carapace, 
Les coups de fouet du vent tumultueux qui passe, 
Pour qu'il porte le temps comme l'âne son bât, 
Et qu'on puisse compter , quand la hache l'abat, 
Les ans de sa durée aux anneaux de sa sève. 
Un cèdre n'est pas fait pour croître comme un rêve; 
Ce que l'heure a construit,l'instant peut le briser.-" 
Le cèdre répondit: - " Jean, pourquoi m'accuser? 
Jean, si je suis ici, c'est par l'ordre d'un homme.-" 
Et Jean, fauve songeur, qu'en frémissant on nomme; 
Reprit: "- Quel est cet homme à qui tout se soumet?-" 
L'arbre dit:"- C'est Omer, prêtre de Mahomet. 
J'était près de Djeddah depuis des ans sans nombre; 
Il m'a dit de venir te couvrir de mon ombre." 
 
Alors Jean, oublié par Dieu chez les vivants, 
Se tourna vers le sud et cria dans les vents 
Par-dessus le rivage austère de son île : 
"- Nouveau venus, laissez la nature tranquille.-" 
 
Victor Hugo 1858 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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